Toulon, le 15 septembre 2018, il est 20h45.

À la gare maritime de Toulon, un navire « à coque jaune », s’apprête à appareiller pour l’île de beauté. Une épaisse fumée se dégage de la cheminée du bateau, tel un monstre marin avalant peu à peu le port et les quartiers avoisinants.

Nous décidâmes d’envoyer un reporter de notre collectif « Halte aux nuisances » pour tenter d’interroger l’une des millions de particules fines qui s’échappent du navire. Je fus désigné pour cette noble tâche.

Près du quai où était amarré le navire, la vision de cette épaisse fumée sortant des entrailles du navire par la cheminée était à la fois impressionnante et inquiétante. À bord, plus je progressais vers les ponts supérieurs, plus la fumée s’épaississait, devenait âcre en exhalant une odeur de soufre qui me prit à la gorge. La chaleur augmentait au fur et à mesure de ma progression vers la sortie du conduit de fumée. Le grondement sourd provenant des moteurs du navire qui se répercutait dans le conduit, couvrait le vacarme des diffusions sonores extérieures et celui des véhicules pénétrant dans le garage du ferries. .

Parvenu non sans peine à la sortie de la cheminée, je fus effaré devant une cohue indescriptible où des colonies polluantes se bousculent pour sortir au plus vite du ventre du navire et se répandre sur la cité toulonnaise. On y trouve pêle-mêle de l’ozone, du dioxyde d’azote, dioxyde de soufre, monoxyde de carbone ; sous ces noms barbares, elles portent pourtant de jolis diminutifs : O2, NO2, SO2, CO …

Placé sur le dernier pont supérieur du navire, près de la cheminée, il me fut encore difficile et périlleux de trouver l’endroit idéal où je pu attirer l’attention d’une particule fine, sans risque pour ma santé. Après quelques tentatives infructueuses je réussis à stopper l’une d’entre elles.

S’ensuivit alors le dialogue suivant :

Le journaliste du collectif (J) : Bonjour, je peux vous interroger ? 

La particule fine (PF) : Oui mais fais vite, je suis pressée

(J) Pourquoi tant de précipitation ?

(PF) C’est que nous avons rendez-vous avec des poumons …

((J) Des poumons ?

(PF) Oui mais aussi des trachées, des cœurs et bien d’autres organes

(J) Mais quel est votre but ?

(PF) (petit ricanement) Tuer ou porter atteinte à la santé du plus grand nombre d’organes des systèmes respiratoire, cardio-vasculaire … Chaque pneumonie, chaque cancer, infarctus, asthme, dépression … est une victoire pour nous !

(J) Tout le monde est donc concerné ?

(PF) Oui mais nous portons surtout notre action sur les enfants, les femmes enceintes, les malades et les personnes âgées, qui sont les plus vulnérables !

(J) Mais c’est immoral !

(PF) Oui je te l’accorde mais ce sont les hommes qui nous permettent cela

(J) Je ne comprends pas …

(PF) Ils savent que nous sommes dangereuses mais ne font pas grand-chose pour nous éliminer.

(J) Mais pourquoi avoir choisi Toulon pour faire cette sale besogne ?

(PF) Nous sévissons dans le monde entier mais chacune de nos colonies a sa région de prédilection. Pour ce qui nous concerne, notre travail de pollution se déroule principalement sur la ville et la rade de Toulon. Mais nous pouvons étendre notre nuisance bien au-delà, comme le fait le sable du Sahara qui, avec le vent du Sud, vient recouvrir de sa petite substance minérale vos infrastructures et plus particulièrement vos voitures.

(J) Vous déversez votre pollution partout en Méditerranée … Toulon, Marseille, Nice, Bastia, Ajaccio, Gènes …

(PF) (M’interrompant) Nous le faisons dans le monde entier comme je te l’ai dit, mais cela devient de plus en plus compliqué pour nous en Méditerranée, car dans les villes que tu cites, les autorités prennent des dispositions pour nous éradiquer, sauf à Toulon où nous sommes tranquilles, car rien n’est fait pour nous détruire.

(J) Comment est-ce possible ?

(PF) il faut le demander à vos élus et aux compagnies maritimes !

(J) Tu veux dire que les autorités de la ville et les compagnies maritimes se désintéressent de la pollution maritime ?

(PF) Aux habitants, victimes de la pollution d’en juger !

(J) Les particules fines sont-elles toutes identiques ?

(PF) Non … je fais partie des plus petites mais les plus dangereuses car nous mesurons moins d’un micron, ce qui permet de pénétrer facilement dans les profondeurs des alvéoles des poumons. C’est mon lieu de prédilection !

(J) Et la pollution par les automobiles ?

C’est aussi notre « gagne-pain » et plus il y en a et plus nous sommes heureux. D’ailleurs nous sommes associées avec d’autres particules fines qui se dégagent des pots d’échappement des véhicules !

(J) En arrivant au ferries sur lequel nous sommes, j’ai vu de nombreuses files de voitures à l’arrêt qui attendaient d’entrer au port, leur moteur toujours en fonction … et d’autres qui sortaient du port, créant des bouchons et entravant la circulation dans la ville. Cela doit aussi te faire plaisir ?

(PF) C’est une vraie jouissance pour nous que de voir votre incapacité à régler ce problème !

(J) Tu es à Toulon depuis longtemps ?

(PF) Depuis très longtemps … En fait je suis née depuis que la combustion du bois, du charbon et du fuel est apparue et devenue responsable de la pollution de l’air

(J) Que devraient faire nos élus et les compagnies maritimes pour vous éradiquer ?

(PF) (Rire) Voilà bien une drôle de question … autant nous demander la recette du bonheur, nous particules fines, qui semons la mort … mais tu m’es sympathique alors je te donne deux conseils :

– Continuez votre action en vous battant pour que vos élus et les compagnies maritimes, prennent des décisions fortes et immédiates pour réduire ou supprimer la pollution de l’air …  Ce n’est qu’une question de volonté … la santé de vos concitoyens a-t-elle moins de valeur que le profit financier ?

– Communiquez davantage auprès de la population, beaucoup de tes congénères ignorent notre présence car nous sommes insidieuses car invisibles pour eux.

(J) Merci de ces conseils, mais que feras-tu lorsque nous aurons gagné ce combat et réduit ou supprimé la pollution ?

(PF) (petite hésitation) … eh bien je me reconvertirai en une particule d’oxygène, d’hydrogène, en globule blanc ou rouge … bref tout ce qui pourra contribue à la vie et non à la mort !

(J) Je souhaite que tu te reconvertisses au plus vite !

(PF) Vu le peu d’effort que vous faites pour nous détruire ici, j’ai encore beaucoup de travail de nuisances devant moi !

(J) Au fait, tu as de la famille ?

(PF) (Désignant la fumée) Ma famille elle est là ! Bon ce n’est pas tout mais je dois rejoindre mes amis et assurer mon travail de pollution … Au revoir et bonne pollution !

 

Décontenancé, je ne sus que répondre sur cette dernière remarque, en voyant la particule fine disparaitre, absorbée au sein du monstrueux nuage polluant. Finalement je m’étais attaché à cette petite particule fine en dépit de son rôle délétère pour notre santé et je regrette de n’avoir pu poursuivre notre conversation. Ce sera peut-être pour une autre occasion !

En regagnant le quai, avant que n’appareille le navire, j’eu une pensée fraternelle pour les riverains dont la vie est impactée par l’air pollué sortant des navires.

Mes pensées se tournèrent aussi vers les passagers, victimes de ces millions de particules fines qui vont s’engouffrer dans le navire par les gaines de ventilation qui assurent le conditionnement d’air à l’intérieur du bateau.

Comment ne pas plaindre également ceux qui viendront en toute bonne foi respirer « l’air sain du large » mais qui ne seront pas épargnés par la pollution rabattue sur les ponts du navire.

Enfin comment ne pas avoir de l’empathie envers les équipages des navires qui inhalent en permanence les divers polluants …

Alors que, pensif, je m’éloignais à grands pas du quai pour échapper à la pollution, je m’interrogeai : 48 000 morts par an en France, victimes de la pollution de l’air et combien à Toulon, quand on sait que la pollution maritime est près de 40 fois supérieure à celle du trafic routier.

C’est alors que je crus entendre le chuchotement d’une petite voix émanant du nuage pollué, qui disait « Ne sois pas pessimiste, tout peut encore s’arranger car les mentalités évoluent ; Il existe probablement des hommes et des femmes de bonne volonté qui se préoccupent de l’avenir de notre monde ».

colair