La réalité contre-productive du jugement de Marseille

Un jugement est intervenu récemment à Marseille contre une fraude au carburant par un géant des mers.

En première analyse, il semble positif que la Justice condamne ce type de fraude. On peut y voir une lutte contre la pollution. Un signal adressé aux fraudeurs.

Analysons cependant la façon dont ce jugement sera     nécessairement – interprété par le groupe maritime condamné et par l’ensemble de ses concurrents.

Voyons d’abord les faits, tels que relatés par Le Monde.

Dans un article publié dans Le Monde le 26 novembre dernier et intitulé :« Planète     Pour la première fois en France, un navire de croisière est condamné pour pollution de l’air », Stéphane Mandard écrit :

« Le leader mondial du secteur, le groupe Carnival a été condamné, lundi 26 novembre par le tribunal de Marseille, pour avoir enfreint les normes antipollution. Evans Hoyt, le capitaine de l’Azura, un géant des mers qui faisait escale dans la cité phocéenne en mars, a été condamné à 100 000 euros d’amende. Le jugement précise que l’armateur devra s’acquitter de 80 000 euros, correspondant à 80 % de cette amende. Contacté par Le Monde, Me. Bertrand Coste, qui avait demandé la relaxe pour son client, indique qu’il va faire appel. »

Un peu plus loin, l’auteur ajoute :

« Le contrôle pratiqué sur l’Azura avait mis en évidence qu’avant de faire escale à Marseille, le navire avait chargé la veille à Barcelone (Espagne) un carburant avec une teneur en soufre de 1,75 %. Le prix de la tonne de carburant à taux de soufre élevé (1,72 %) est de 379 dollars (329 euros), contre 614 dollars pour un fioul moins soufré (0,09 %). Dans la capitale catalane, le capitaine de l’Azura avait reçu une livraison de 900 tonnes pour environ 341 100 dollars. Elle lui aurait coûté 552 400 dollars s’il avait privilégié un carburant moins sale. »

Si on fait un rapide calcul, le groupe Carnival et le capitaine du navire ont économisé sur le carburant : 552 400 dollars moins 341 100 dollars, soit 211 300 dollars en enfreignant la loi. Et, pour cela, ils ont été condamnés à une amende de … 100 000 euros, soit environ 115 200 dollars au cours susmentionné.

Autrement dit la condamnation n’est pas dissuasive, bien au contraire ! Elle est une incitation explicite à la fraude délibérée. En effet, elle signifie économiquement que les armateurs ont mathématiquement intérêt à polluer – en France tout au moins – avec des carburants à taux de soufre prohibés car si par un exceptionnel hasard, ils se faisaient contrôler et condamner, il leur en couterait encore deux fois moins (211 300 dollars d’économie contre 115 200 dollars d’amende … sic) et resteraient 100 % gagnants pour la multitude des autres fois.

Certes le capitaine est tenu à verser personnellement 20. 000 Euros. Mais bien entendu, c’est normal et c’est d’usage, son employeur compensera cette amende en primes ou avantages divers, afin que le capitaine continue à considérer avant tout, la recherche du profit pour son employeur. Ne pas dédommager implicitement le capitaine serait envoyer un signal de défiance et de non solidarité envers ses employés qui prennent des risques dans l’intérêt de la compagnie.

Est-il vraisemblable que le Juge ne se soit pas aperçu de l’erreur ? Qu’il ne se soit pas rendu compte que son jugement est une incitation à la fraude ? Est-ce une mascarade ou une énorme erreur ?

En l’état actuel, peu importe les intentions du Juge. Les armateurs, sont des sociétés à but lucratif, tenues juridiquement à maximiser leurs profits. Et le résultat est là, sa signification économique et les comportements rationnels qui en découleront aussi.

Pour les armateurs et leurs capitaines, le jugement de Marseille a une signification économique claire : Nous avons intérêt à polluer car même avec une (exceptionnelle) condamnation, nous y gagnerions encore. Et ne pas le faire serait se condamner à ne pas être compétitif (car nos concurrents ont intérêt aussi à le faire) ; ce que nous ne pouvons pas nous permettre.

C’est pourquoi ce jugement est une catastrophe pour l’écologie.

 

André BERTRAND

Maître de Conférences en Economie

Post-scriptum : L’analyse microéconomique a été un de mes principaux enseignements. Les comportements économiques qu’elle prescrit sont nécessairement suivis par les entreprises, sous peine de ne plus être compétitives. Les compagnies n’ont pas le choix. Elles devront appliquer les conséquences rationnelles du jugement au pied de la lettre.